FAKE NEWS (FAUX MÉDIATIQUES), CADRAGE DES MÉDIAS ET LE CAS DES COMMENTAIRES « CHOQUANTS » DU PAPE FRANÇOIS SUR L’ÉVOLUTION

Par James Riley

Si l’on en croit ce que nous lisons ici et là, les « FAKE NEWS » sont partout de nos jours. Propulsée sur la scène médiatique comme un bâillon lexical, l’expression est sortie de la bouche du président Donald J. Trump alors qu’il affrontait le journaliste de CNN Jim Acosta lors de sa première conférence de presse en tant que président nouvellement élu. Bien que les mots soient beaucoup plus anciens, Trump les a certainement fait siens. « FAKE NEWS ! » L’expression elle-même exhale encore les relents de l’encre d’Orwell, et lorsqu’elle a été lancée, elle a divisé les médias en deux camps : les bien-pensants et ceux affichant une pensée criminelle — entre ceux qui suivent la ligne du parti et ceux qui ne le font pas. Cependant, ce blog ne concerne pas la langue de bois du président, mais plutôt la forme des messages eux-mêmes – faux ou non – que nous recevons via les médias.

Un exemple très médiatisé du phénomène des fake news concerne l’homme au centre de mes études ici à l’Université Newman, le 266e chef de l’Église catholique, le pape François. En 2016, le pape aurait approuvé la candidature de Donald Trump. La nouvelle s’est répercutée sur les réseaux sociaux, recevant plus de 900 000 engagements. Seul hic : ce n’était pas vrai. L’assertion a maintenant été complètement réfutée, le factcheck.org du Centre des politiques publiques d’Annenberg l’identifiant comme étant originaire du site d’informations satiriques WTOE 5 news.

Comme ma thèse de doctorat se concentre sur la représentation des papes dans les médias et, plus précisément, sur leurs commentaires publics concernant l’évolution, un cas très médiatisé comme celui-ci a immédiatement attiré mon attention. En rêvassant, j’ai commencé à repenser mon sujet d’intérêt. Si nous avions eu le bonheur de bénéficier plus tôt de l’ajout par Trump de cette expression dans notre langage, certains commentateurs se seraient-ils précipités pour qualifier de « fake news » la couverture des déclarations du pape François de 2014 sur l’évolution ?

Les commentaires en question provenaient d’une allocution à l’Académie pontificale des sciences, où le pape François lança en avertissement : « Lorsque nous lisons dans la Genèse le récit de la création, nous risquons d’imaginer Dieu comme un magicien, avec une baguette capable de tout faire. Mais il n’en est pas ainsi », poursuivant : « [l]’évolution de la nature ne contraste pas avec la notion de création, car l’évolution présuppose la création d’êtres qui évoluent ». Ces mots ont poussé les journalistes du monde entier à commenter ce qui constituait apparemment le plus radical demi-tour dans les relations entre catholiques et scientifiques depuis l’époque où Galileo avait déjà réussi à éviter la prison. Mais de demi-tour on ne peut pas parler ici.

Elizabeth Dias, du magazine Time, fut scandalisée par cette couverture médiatique, faisant remarquer : « site après site après site, les paroles du pape ont été gonflées et sorties de leur contexte ». MSNBC, par exemple, a expliqué que François : « a effectué une rupture rhétorique significative avec la tradition catholique lundi en déclarant que les théories de l’évolution et du Big Bang étaient réelles ». Selon Elizabeth Dias, ces types d’articles ont simplement ignoré plusieurs décennies de commentaires des papes précédents sur l’évolution, commentaires qui s’alignaient tous sur ceux du pape François.

Elizabeth Dias ne fut pas seule à s’indigner. Selon Patrick Cusworth du Catholic Herald : « S’il est rafraîchissant de voir les déclarations du pape sur des questions scientifiques parvenir jusqu’à certaines personnes qui vont bien les accueillir, alors que ces dernières ne sont généralement pas bien disposées envers l’Église, la suggestion implicite que le pape François a en quelque sorte provoqué un changement radical dans la vision du monde affichée par le Vatican est trompeuse. »

Les personnes telles que Dias et Cusworth ont eu raison de faire remarquer à certains journalistes leur manque de recherche, le manque de contexte dans leurs articles et les titres sensationnels que leurs histoires véhiculaient. Près de 20 ans plus tôt, le pape Jean-Paul II avait dit quelque chose de très similaire. Affirmant sa croyance en la vérité de l’évolution, Jean-Paul Paul avait déclaré sans équivoque : « l’évolution est plus qu’une hypothèse ». Dans ce contexte supplémentaire, les déclarations de François en 2014 ne semblent pas si choquantes. Qui plus est, les paroles de Jean-Paul n’étaient elles-mêmes qu’une mise à jour de la position prise par Pie XII, qui en 1950 expliquait que l’Église n’interdisait pas la recherche sur l’évolution, bien que ce dernier n’aille pas aussi loin que ses successeurs dans son acceptation ouverte de la théorie scientifique.

C’est sans doute la différence entre les déclarations Humani generis de 1950 du pape Pie XII et le discours de 1996 du pape Jean-Paul II qui marque le changement notable dans les commentaires papaux sur l’évolution. Le célèbre biologiste évolutionniste Stephen J. Gould a réagi à ce changement apparent de la position papale dans son essai de 1997, Nonoverlapping Magesteria (NOMA ou Magistère sans chevauchement). L’essentiel de l’essai porte sur la proposition de Gould selon laquelle la science et la religion ne se chevauchent pas : la science traite du monde empirique et la religion du monde moral. Inutile de dire que de nombreuses personnes ne sont pas d’accord avec l’évaluation de Gould des relations science-religion, et au sein de ce groupe en désaccord, il y a ceux qui pensent que la science et la religion peuvent être compatibles lorsqu’elles se chevauchent, et ceux qui pensent qu’elles sont radicalement inconciliables.

En plus de présenter sa vision idéalisée des domaines de la science et de la religion, Gould a également réfléchi à la couverture médiatique des commentaires de Jean-Paul II sur l’évolution en 1996. « On m’a toujours enseigné qu’il n’y a pas de conflit doctrinal entre l’évolution et la foi catholique », a-t-il fait remarquer, surpris par l’explosion de la couverture. « Pourquoi le pape avait-il publié une telle déclaration ? Et pourquoi la presse avait-elle réagi avec une orgie de couverture mondiale en première page ? » Cependant, après avoir repensé aux commentaires de Pie de 1950 dans Humani generis, Gould a admis qu’il s’était trompé en pensant que l’Église catholique (tout au moins les papes) avait toujours publiquement accepté l’évolution. Gould résume avec une sorte de désinvolture ses perceptions du changement dans le commentaire papal sur l’évolution :

« En d’autres termes, l’opinion catholique officielle sur l’évolution est passée de “dire que ce n’est pas le cas, mais que nous pouvons y faire face si nous le devons” (la vision à contrecœur de Pie en 1950) à un Jean-Paul entièrement acceptant que cela ait été prouvé fondé ; nous célébrons toujours le caractère factuel de la nature et nous attendons avec intérêt des discussions intéressantes sur les implications théologiques. »

Par conséquent, après avoir lu intégralement les commentaires de Pie XII (1950) et de Jean-Paul II (1996), Gould conclut : « Je comprends enfin pourquoi la récente déclaration semble si nouvelle, révélatrice et digne de tous ces titres. » 

Si nous revenons à la couverture des commentaires de François en 2014, la couverture médiatique n’est pas aussi facilement explicable que le fut celle de 1996 selon Gould. Et cela nous ramène à mon point d’origine : nous ne traitons évidemment pas de fake news ici ; François a bien dit qu’il croyait en l’évolution, et les médias l’ont rapporté. Au lieu de cela, les problèmes concernant la couverture médiatique de 2014 proviennent du contexte dans lequel les histoires ont été placées. En d’autres termes, il s’agit de la façon dont la couverture a été cadrée. À mon avis, c’est le cadrage souvent moins apparent des messages médiatiques qui est plus intéressant que la récente préoccupation des « fake news ».

Le cadrage médiatique est la sélection de certaines caractéristiques d’une histoire, ou la concentration sur ces dernières, qui deviennent ainsi plus saillantes ou proéminentes que d’autres. Tout comme lorsque nous prenons une photo d’une grande étendue de campagne, la photographie encadre une certaine partie de cet espace, restreignant et concentrant notre vision pour limiter ce que nous voyons. La définition la plus connue du cadrage dans un contexte d’études médiatiques vient du spécialiste des communications Robert Entman (1993) :

Le cadrage implique essentiellement la sélection et la saillance. Cadrer, c’est sélectionner certains aspects d’une réalité perçue et les rendre plus saillants dans un texte communicant, de manière à promouvoir une définition particulière du problème, une interprétation causale, une évaluation morale et/ou une recommandation de traitement pour l’élément décrit.

Quand nous racontons une histoire, dans n’importe quel élément de communication, il y a évidemment beaucoup plus que nous pourrions dire que ce que nous ne disons dans les faits. Cela peut être dû à des contraintes réelles et valides ; aux restrictions d’espace du médium, à une position éditoriale plus large, aux propres préjugés du communicateur ou à un certain nombre d’autres facteurs d’influence. Par conséquent, certains aspects du message sont sélectionnés et davantage mis en évidence que d’autres.

Si nous nous intéressons aux déclarations du pape sur l’évolution à la lumière de la littérature théorique sur le cadrage médiatique, nous commençons à comprendre comment, et peut-être pourquoi, la couverture médiatique de ces déclarations répétées a apparemment été obnubilée par l’accent mis sur la perception d’un conflit historique entre la théorie évolutionniste et l’Église. Ainsi, des commentateurs comme Dias ont eu raison de signaler les problèmes potentiels concernant certains articles de presse sur les déclarations du pape François en 2014 sur l’évolution. Pourtant, savons-nous dans quelle mesure les médias ont utilisé un cadrage controversé ? Ou même quels cadres spécifiques étaient utilisés pour faire la couverture de l’histoire ? Peut-être de façon surprenante étant donné les réticences actuelles des médias grand public, il existe très peu de recherches sur le cadrage médiatique des histoires sur la science et la religion. Ma recherche de doctorat espère commencer à combler cette lacune dans la littérature, en analysant le cadrage de la couverture médiatique entourant les déclarations des papes sur l’évolution depuis 1996, et par extension de la couverture de la science et de la religion.

S’il est clair qu’il existe un réel besoin de pouvoir identifier et annoncer les « fake news », nos conversations sur les médias doivent progresser au-delà de cet objectif actuel. La montée des fake news et du fait alternatif a conduit beaucoup de personnes à se tourner vers Orwell en vue de comprendre les médias et le discours politique actuels, mais peut-être n’avons-nous pas relu le bon roman dystopique ? Dans un article récent, le fils de Neil Postman, critique culturel et éducateur, a fait part d’une réflexion sur le paysage médiatique actuel et les avertissements prémonitoires de son père sur le cours de l’histoire. Dans Amusing Ourselves to Death (S’amuser à mort), Postman prévient que ce n’est pas la vision d’Orwell de 1984 que nous aurions dû surveiller, mais celle qui se trouve dans Le meilleur des mondes d’Huxley. Il écrit ainsi :

« Orwell craignait ceux qui nous priveraient d’informations. Huxley craignait ceux qui nous en donneraient tellement que nous serions réduits à la passivité et à l’égoïsme. Orwell craignait que la vérité ne nous soit cachée. Huxley craignait que la vérité ne se noie dans un océan de non-pertinence. »

Andrew Postman, le fils de Neil Postman, suggère quelques tactiques utiles à l’ère du fait alternatif, des fake news et de l’augmentation exponentielle de l’information. Tout d’abord, recherchez des informations aussi proches que possible de la source. D’après l’exemple ci-dessus, c’est ce qu’a fait Gould lorsqu’il a été confronté à une couverture médiatique troublante. Il a enquêté sur les sources et a conclu sur la validité de la couverture. Deuxièmement, explique Postman, ne vous attendez pas à ce que les médias le fassent pour vous. Certains le font avec brio, d’autres pas. Postman exhorte le lecteur à se rappeler que les médias existent pour nous vendre des choses. La façon dont chaque média présente ou encadre les informations qu’il couvre est soigneusement sélectionnée pour s’aligner sur les normes sociales attendues de son public cible.

Les leçons tirées du cadrage peuvent nous aider à comprendre les messages que nous recevons dans les médias. Même si vous pouvez identifier les fake news, si vous pouvez repérer un « fait alternatif » parmi les faits réels, quelles questions vous posez-vous sur le cadrage des informations que vous digérez quotidiennement ? La façon dont un « fait » est présenté ou encadré peut être aussi importante que sa validité.

James Riley est chercheur postdoctoral à l’Université de Birmingham.

Sa thèse de doctorat explore le catholicisme et l’évolution en Angleterre en examinant les représentations dans les journaux des déclarations papales sur l’évolution et sur la perception qu’ont les catholiques de l’évolution à l’aide d’entretiens. Intéressé par l’interrelation entre la science et la société, il possède une formation en communication scientifique et en compréhension publique de la science, à la fois en recherche et en pratique. Pour en savoir plus, consultez son Profil de recherche.

Twitter : @JamesIRiley

Cet article a été traduit en français à partir du texte original en anglais. Si vous lisez des erreurs ou souhaitez nous faire part de vos commentaires sur cette traduction, veuillez nous contacter ici: https://scienceandbeliefinsociety.org/contact-us/